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Requalification des contrats entre Uber et ses chauffeurs VTC : une évolution jurisprudentielle marquante depuis 2020

Depuis plusieurs annĂ©es, les relations contractuelles entre les chauffeurs VTC et la plateforme Uber sont au cƓur d’un dĂ©bat juridique majeur : les chauffeurs sont-ils rĂ©ellement des travailleurs indĂ©pendants, comme le prĂ©tend Uber, ou doivent-ils ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des salariĂ©s bĂ©nĂ©ficiant d’un contrat de travail ? Cette interrogation, loin d’ĂȘtre purement thĂ©orique, a donnĂ© lieu Ă  une Ă©volution jurisprudentielle particuliĂšrement riche depuis 2020, avec des enjeux sociaux et Ă©conomiques considĂ©rables.

Le droit du travail français repose sur une distinction claire entre le travail indĂ©pendant et le salariat, cette derniĂšre forme Ă©tant caractĂ©risĂ©e par un lien de subordination. C’est ce critĂšre qui permet aux juges de requalifier un contrat, indĂ©pendamment de l’intitulĂ© que lui donnent les parties. Ainsi, lorsqu’un travailleur exĂ©cute ses missions sous l’autoritĂ© d’un donneur d’ordre, qui contrĂŽle ses horaires, ses missions, ses tarifs et peut le sanctionner, la qualification de contrat de travail s’impose.

La jurisprudence en France

Un tournant majeur a eu lieu avec l’arrĂȘt de la Cour de cassation du 4 mars 2020. Dans cette dĂ©cision, la haute juridiction a estimĂ© qu’un chauffeur Uber, bien que juridiquement prĂ©sentĂ© comme partenaire indĂ©pendant, Ă©tait en rĂ©alitĂ© liĂ© par un contrat de travail Ă  la plateforme. Les juges ont soulignĂ© que le chauffeur ne choisissait ni ses clients ni ses tarifs, qu’il pouvait ĂȘtre dĂ©connectĂ© de l’application en cas de refus rĂ©pĂ©tĂ©s de courses, et qu’il ne se constituait pas de clientĂšle propre. Ces Ă©lĂ©ments rĂ©vĂ©laient, selon la Cour, l’existence d’un service organisĂ© par Uber et un pouvoir de direction et de contrĂŽle caractĂ©risant le lien de subordination.

Depuis cet arrĂȘt, de nombreuses juridictions du fond ont Ă©tĂ© saisies de demandes similaires. En janvier 2023, le conseil de prud’hommes de Lyon a rendu une dĂ©cision particuliĂšrement symbolique, requalifiant en contrat de travail les relations contractuelles de 139 chauffeurs. Le conseil a insistĂ© sur la surveillance exercĂ©e par Uber grĂące aux donnĂ©es GPS et sur le systĂšme de notation des chauffeurs, qui pouvait aboutir Ă  des sanctions, dĂ©montrant ainsi une asymĂ©trie manifeste dans la relation.

En septembre 2024, la cour d’appel de Paris est venue confirmer cette tendance, reconnaissant une nouvelle fois le statut de salariĂ© Ă  un chauffeur VTC. Elle a repris les critĂšres dĂ©gagĂ©s par la Cour de cassation en y ajoutant des Ă©lĂ©ments contemporains liĂ©s Ă  l’évolution technologique du modĂšle Uber, notamment la programmation algorithmique des courses et l’impossibilitĂ© d’exercer vĂ©ritablement en dehors du cadre imposĂ© par l’application.

Le conseil de prud’hommes de Paris, Ă©galement saisi Ă  plusieurs reprises, a tranchĂ© dans le mĂȘme sens dans plusieurs affaires depuis fin 2024, soulignant que la libertĂ© proclamĂ©e par Uber est largement illusoire dans les faits. NĂ©anmoins, quelques juridictions, comme la cour d’appel de Lyon en 2021, ont adoptĂ© une position plus nuancĂ©e, estimant que les chauffeurs pouvaient conserver une marge d’autonomie suffisante pour exclure le salariat. Ces dĂ©cisions demeurent aujourd’hui marginales et semblent en voie d’ĂȘtre dĂ©passĂ©es.

La position de la Commission européenne

La Commission europĂ©enne a adoptĂ© une position claire en faveur de la protection des travailleurs des plateformes numĂ©riques, notamment les chauffeurs VTC opĂ©rant via des applications comme Uber. Cette orientation s’est concrĂ©tisĂ©e par l’adoption de la Directive (UE) 2024/2831 du 23 octobre 2024, qui vise Ă  amĂ©liorer les conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.

L’un des Ă©lĂ©ments clĂ©s de cette directive est l’Ă©tablissement d’une prĂ©somption lĂ©gale de relation de travail pour les personnes exĂ©cutant un travail via une plateforme, lorsque certaines conditions sont remplies. Cette prĂ©somption signifie que, sauf preuve contraire apportĂ©e par la plateforme, le travailleur est considĂ©rĂ© comme salariĂ©, avec tous les droits affĂ©rents.

La directive impose Ă©galement des obligations aux plateformes en matiĂšre de transparence et de gestion algorithmique. Les plateformes doivent informer les travailleurs sur le fonctionnement des algorithmes qui influencent leurs conditions de travail, telles que l’attribution des tĂąches, l’Ă©valuation des performances et la fixation des rĂ©munĂ©rations. Elles doivent Ă©galement garantir un contrĂŽle humain sur les dĂ©cisions automatisĂ©es affectant les travailleurs.

Les États membres de l’Union europĂ©enne sont tenus de transposer cette directive dans leur droit national d’ici le 2 dĂ©cembre 2026. Cette transposition vise Ă  harmoniser les protections des travailleurs des plateformes Ă  travers l’UE et Ă  lutter contre la prĂ©carisation liĂ©e Ă  l’ubĂ©risation de l’Ă©conomie.

Ainsi, la France a jusqu’au 2 dĂ©cembre 2026 pour transposer cette directive en droit national. En attendant, la France applique une prĂ©somption de non-salariat pour les travailleurs indĂ©pendants, protĂ©geant plutĂŽt la sociĂ©tĂ© Uber plutĂŽt que les travailleurs.

En résumé, la position de la Commission européenne est de renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques en établissant une présomption de salariat et en imposant des obligations de transparence aux plateformes, afin de garantir des conditions de travail équitables et sécurisées.

L’enjeu d’une telle requalification

L’enjeu de ces requalifications dĂ©passe la question des statuts individuels. Il s’agit d’un dĂ©bat de sociĂ©tĂ© : dans quelle mesure le droit du travail peut-il s’adapter aux nouvelles formes d’emploi issues de l’économie de plateforme ? Les dĂ©cisions rĂ©centes posent les fondations d’un encadrement plus protecteur de ces formes de travail prĂ©caires. Pour les chauffeurs, une requalification permettrait d’accĂ©der Ă  la protection sociale, au droit au chĂŽmage, Ă  des congĂ©s payĂ©s et Ă  une stabilitĂ© juridique. Pour Uber, elle implique une transformation de son modĂšle Ă©conomique, fondĂ© jusqu’alors sur la flexibilitĂ© et l’externalisation.

Aujourd’hui, les actions en justice se multiplient, tant individuellement que collectivement, et les condamnations pĂ©cuniaires Ă  l’égard d’Uber deviennent significatives. En parallĂšle, le gouvernement et les partenaires sociaux s’interrogent sur la nĂ©cessitĂ© d’un statut intermĂ©diaire ou d’une rĂ©forme globale du droit du travail. Quoi qu’il en soit, les lignes bougent, et la jurisprudence française, attentive Ă  la rĂ©alitĂ© Ă©conomique, tend de plus en plus Ă  reconnaĂźtre aux chauffeurs Uber les droits attachĂ©s Ă  la qualitĂ© de salariĂ©.

Si vous ĂȘtes chauffeur VTC, que vous travaillez avec la plateforme Uber, n’hĂ©sitez pas Ă  contacter mon cabinet, qui pourra vous reprĂ©senter dans le cadre d’une procĂ©dure de requalification de la relation en contrat de travail, comme nous l’avons dĂ©jĂ  obtenus Ă  Nantes, Toulouse, Grasse, Argenteuil notamment.

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