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Le plafonnement des indemnités de licenciement (abusif) par la loi EL KHOMRI

Après la censure par le Conseil Constitutionnel de l’article 266 de la Loi Macron, le projet de réforme de Madame la Ministre du travail, Myriam EL KHOMRI, reprend la proposition consistant à plafonner les indemnités obtenues par les salariés devant le Conseil de Prud’hommes lorsqu’un licenciement est jugé abusif.

Si le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 5 août 2015, ne remettait pas en cause le critère de l’ancienneté du salarié pour déterminer l’importance de l’indemnité de licenciement, il n’admettait toutefois pas que les indemnités soient fonction de l’effectif de l’entreprise. Censurant ainsi l’article de la réforme Macron au titre de la discrimination qu’il consacrait.

« Si le législateur pouvait plafonner l’indemnité due pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ; tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise; [en revanche] le critère de l’ancienneté dans l’entreprise est en adéquation avec l’objet de la loi » (Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015).

Le projet de loi EL KHOMRI s’est donc largement inspiré de cette décision du Conseil Constitutionnel pour faire valider sa proposition de plafonnement des indemnités accordées aux salariés lorsqu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse a été prononcé.

Avec ce projet de loi El KHOMRI, seule l’ancienneté permettrait de plafonner les indemnités. Ainsi les barèmes seraient les suivants :

Moins de 2 ans d’ancienneté                                               3 mois de salaire
Entre 2 ans et moins de 5 ans                                             6 mois de salaire
De 5 ans à moins de 10 ans                                                  9 mois de salaire
De 10 ans à moins de 20 ans                                              12 mois de salaire
A partir de 20 ans d’ancienneté                                         15 mois de salaire

Selon la ministre, cette mesure aurait plusieurs intérêts. Elle permettrait :

*aux entreprises les plus modestes de ne pas se mettre en risque financier si le licenciement est jugé abusif ;
*d’encourager l’embauche puisque le coût d’un licenciement abusif serait connu par avance ;
*une certaine homogénéité pour les salariés, qui sauraient par avance combien ils pourraient toucher si leur licenciement était remis en cause.

Cependant, et sans doute à juste titre, les syndicats ne sont pas de cet avis. Beaucoup d’arguments ont été avancés contre cette proposition : les entreprises pourront chiffrer et provisionner le coût d’un licenciement par avance en cas de contentieux (ce qui est déjà le cas dans les plus grosses entreprises), les salariés seront lésés puisque l’appréciation des juges sera formatée par ce barème, les salariés les plus anciens n’auront le droit qu’à 15 mois de salaire maximum …

L’idée générale est que les entreprises seront les grandes gagnantes au détriment des salariés, a fortiori les grandes entreprises.

Il s’en suivrait que le salarié, victime d’une erreur ou d’un mauvais choix de l’employeur, serait doublement lésé : parce qu’il est licencié et parce que les indemnités seraient plafonnées et en deçà de celles accordées actuellement par les différents Conseils de Prud’hommes du pays.

Neuf syndicats, dont la CFDT, la CGT et l’UNSA, ont demandé dans un communiqué commun en date du 23.02.2016, le « retrait » pur et simple de cette disposition.

Signé par la CFDT, la CFE-CGC, la CGT, FSU, Solidaires-SUD, l’UNSA, mais aussi par le syndicat étudiant UNEF, et les syndicats lycéens NL et FIDL, ce communiqué n’a pas été accepté par FO. Toutes les organisations, dont FO, ont décidé de se réunir à nouveau le 3 mars pour « approfondir » leurs analyses communes concernant la réforme du droit du travail (cf. Le Monde Economie 24.02.2016).

En conclusion, s’il était voté tel quel, cet article permettrait de limiter le risque de l’employeur décidant de licencier un salarié sans aucun motif valable. Un beau cadeau donc pour les entreprises, et donc un sérieux recul des droits des salariés qui, suite à leur licenciement, n’auraient plus droit à une indemnité en fonction de leur véritable préjudice mais une indemnité accordée de manière arithmétique à la lecture du tableau ci-dessus.

Car si le tableau proposé dans la loi Macron était indicatif, celui contenu dans la réforme EL KHOMRI est impératif et s’imposerait au juge.

Pour indication, le licenciement abusif d’un salarié ayant 4 années d’ancienneté a pu donner droit à une indemnisation qui a été estimé entre 12 et 18 mois de salaire, selon les circonstances, par la Cour d’appel de Toulouse (CA TOULOUSE – 4.09.2015 ; CA TOULOUSE – 7.11.2014).

Avec la réforme EL KHOMRI, l’indemnisation d’un tel licenciement sans cause réelle et sérieuse n’ouvrirait droit qu’à une indemnisation correspondant à 6 mois de salaire…

Cela permettra-t-il effectivement d’aboutir à une baisse du chômage (but affiché par le gouvernement), ou simplement aux plus grosses entreprises d’avoir les mains déliées des mesures jusqu’alors les plus protectrices des travailleurs et ainsi de réaliser davantage de profits ?

Une chose est certaine, ce projet de réforme n’est en rien protecteur des droits des salariés du secteur privé.

L’autre question sera de savoir si le gouvernement soumettra cette nouvelle réforme au vote démocratique de l’assemblée nationale et du Sénat, ou s’il (ab)usera de l’article 49-3 de la Constitution du 4 octobre 1958 pour faire adopter « en force » un projet de loi contesté sur les bancs mêmes de la majorité (comme il l’a précédemment déjà fait pour la loi Macron).