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La reconnaissance d’un droit du salarié à la déconnexion

Le terme est évocateur d’une génération 3.0 qui n’a pas manqué d’envahir l’entreprise.

La généralisation d’un accès illimité aux nouvelles technologies (smartphones, ordinateurs, tablettes ou autres objets connectés) peut relier de manière continue le salarié à son poste de travail. L’apparition de ces outils dans le monde de l’entreprise a eu un impact exceptionnel sur l’organisation du travail, sur l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle.

Les clients, les supérieurs hiérarchiques voire les collègues du salarié attendent de lui une plus grande réactivité qu’auparavant. Pour ne pas perdre un contrat ou la confiance de son entreprise, le salarié peut se sentir obligé de répondre à toute demande, même non urgente, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

En ce sens, un sondage laisse apparaître que 37% des actifs utilisent les outils numériques professionnels en dehors de leur temps de travail, souvent malgré eux. La loi Aubry sur les 35 heures n’est donc en pratique qu’un lointain souvenir.

Les cadres, qui sont davantage soumis au « forfait-jours » qu’à celle de la loi précitée, se trouvaient en première ligne face à d’éventuelles sollicitations abusives, voire intempestives, de leur employeur.

Contrairement à la charge physique du salarié, la charge psychologique n’était jusqu’à présent pas prise en compte par notre droit, celle-ci étant plus difficile à quantifier.

Là encore, la conception de l’impact du travail sur la psychologie du salarié ne cesse d’évoluer. Après le « burn out » (syndrome d’épuisement professionnel), le très récent « bore out » (à savoir l’ennui au travail) et même le désormais « brown out » (sentiment de perte de sens des tâches à effectuer), le milieu professionnel révèle régulièrement de nouveaux syndromes.

La question se posait de savoir comment concilier intérêts économiques de la société et impératifs de santé du salarié.

Une solution est apportée par la toujours très controversée Loi Travail du 8 août 2016 (article 55) : la reconnaissance d’un droit à la déconnexion des salariés.

L’émergence de ce droit est apparue dans le sillage de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a invalidé de nombreux accords collectifs portant sur le mécanisme du « forfait-jours » au motif qu’ils ne garantissaient pas suffisamment le respect du droit à la santé du salarié. Ainsi, la branche des bureaux d’études « Syntec » a été l’une des premières à réagir via l’avenant du 1er avril 2014 à l’accord de réduction du temps de travail en prévoyant explicitement le droit à la déconnexion des salariés de la branche soumis au forfait-jours.

A partir du 1er janvier 2017, les salariés ne pourront théoriquement plus se voir reprocher d’avoir déconnecté leur smartphone le soir ou en vacances.

Cette mesure de la Loi EL KHOMRI prévoit en effet que les entreprises employant soit des salariés soumis au forfait-jours, soit plus 50 salariés, négocieront avec les partenaires sociaux un accord fixant les modalités de ce droit à la déconnexion. Dans certains cas, l’employeur pourra les déterminer lui-même avant de les porter à la connaissance de son personnel.

Dans les entreprises ayant au moins un délégué syndical, ce sujet devra être abordé dans le cadre de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

Plus précisément, les partenaires sociaux devront s’accorder sur les modalités de plein exercice du droit à la déconnexion du salarié et la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques afin d’assurer à ce dernier le respect de ses temps de repos, de congés ainsi que de sa vie familiale.

A défaut d’accord, l’employeur devra établir une charte soumise à l’avis préalable du Comité d’Entreprise (CE) prévoyant la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.

De plus, les accords collectifs conclus après le 10 août 2016 autorisant le recours au forfait-jours devront préciser les moyens permettant d’exercer ce droit.

En réalité, bon nombre de personnes (entreprises de moins de 50 salariés notamment) ne pourront pas se prévaloir de cette nouvelle disposition du Code du Travail.

Toutefois, notons que les juges condamnent déjà un employeur qui sanctionnerait un salarié ayant refusé de se connecter à sa messagerie électronique professionnelle en dehors de son temps de travail. De même, le salarié a déjà droit au paiement d’heures supplémentaires si l’employeur lui impose une charge de travail qui le contraindrait à se connecter à sa messagerie professionnelle pour travailler le soir ou le week-end.

D’aucuns diront donc que cette loi n’a pas créée un « nouveau droit ». Ou encore que l’absence de sanction en cas de non-respect de cette nouvelle disposition ou de défaut de négociation dans le délai imparti est le signe d’une « vraie-fausse avancée » dans les droits du salarié.

Que ce droit ne fasse l’objet d’aucune sanction spécifique par le Code du Travail ne signifie pas qu’il n’en existe aucune, mais simplement que la juridiction prud’homale aura toute latitude pour en apprécier la portée.

Nul doute qu’il s’agisse tout de même d’un nouveau pas vers le renforcement par le législateur du droit à la santé au travail du salarié qui pourrait, par l’effet « domino », amener les juridictions à consacrer un principe général de droit à la déconnexion dont bénéficieraient l’ensemble des salariés.

Il sera intéressant d’observer de quelle manière les entreprises françaises et les partenaires sociaux adapteront ces nouvelles considérations à notre paysage juridique et social. Vont-ils comme Volkswagen décréter la mise en place d’un système de veille des serveurs smartphones entre 18h15 et 7h du matin ou prévoir comme Daimler Benz, en 2014, de permettre au salarié d’enregistrer une réponse automatique redirigeant son interlocuteur vers des contacts disponibles voire l’inviter à réexpédier le message au retour de son interlocuteur ?