Jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat sont abondantes en matière de pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Un arrêt du Conseil d’Etat en date du 5 décembre 2016 vient étendre ce pouvoir en cas de soupçon de consommation de stupéfiant par le salarié. De même qu’en matière d’alcool, il peut désormais faire pratiquer lui-même un test salivaire de dépistage de drogue. Cela vient harmoniser les deux cas de manière semble-t-il assez logique.
En prenant position sur la clause d’un règlement intérieur relative à la mise en œuvre par l’employeur de tests salivaires de détection de produits stupéfiants, le Conseil d’Etat apporte une première pierre à cet édifice juridique naissant.
Le litige dont était saisi la Haute Juridiction administrative trouve son origine dans le projet de règlement intérieur d’une entreprise du secteur du bâtiment prévoyant, pour les salariés affectés à certains postes dits « hypersensibles », la possibilité d’un contrôle aléatoire pour vérifier qu’ils ne soient pas sous l’emprise de stupéfiants durant l’exécution de leur travail. Il était alors prévu que ce contrôle aurait lieu au moyen d’un test salivaire pratiqué par un supérieur hiérarchique ayant reçu une information appropriée sur la manière d’administrer le test et d’en lire le résultat, que le salarié pouvait demander une contre-expertise devant être effectuée dans les plus brefs délais et qu’il s’exposait à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement en cas de contrôle positif.
L’inspecteur du travail saisi de ce projet avait estimé que certaines dispositions de celui-ci portaient une atteinte aux libertés individuelles des salariés disproportionnées au but de sécurité recherché. Il avait, pour ce motif, enjoint à l’entreprise de retirer la clause autorisant la pratique du test par un supérieur hiérarchique et celle prévoyant des sanctions en cas de contrôle positif.
Dans un premier temps, la décision de l’inspecteur du travail a été annulée par le tribunal administratif de Nîmes. Mais, sur recours du ministre du travail, ce jugement a lui-même été annulé par la cour administrative d’appel de Marseille, cette dernière estimant que de tels tests salivaires impliquent, à la différence des contrôles d’alcoolémie par éthylotest, un prélèvement d’échantillons biologiques contenant des données biologiques et cliniques soumises au secret médical ce qui excluait qu’ils puissent être pratiqués et leurs résultats interprétés par l’employeur ou un supérieur hiérarchique. Le Conseil d’Etat a tranché le litige dans un tout autre sens.
Un test salivaire ne nécessite pas le recours au médecin du travail
La Haute juridiction considère en effet qu’un test salivaire tel que celui envisagé en l’espèce par l’employeur a pour seul objet de révéler, par une lecture instantanée, l’existence d’une consommation récente de produits stupéfiants.
Enfin, le Conseil d’Etat souligne qu’aucune autre règle ni aucun principe ne réservent le recueil d’un échantillon de salive à une profession médicale.
Rien ne s’oppose dès lors, selon lui, à ce qu’un test salivaire soit dans certains cas pratiqué par l’employeur ou par un supérieur hiérarchique. Il précise que si les résultats de ce test ne sont pas couverts par le secret médical, l’employeur et le supérieur hiérarchique désigné pour le mettre en œuvre sont tenus à cet égard au secret professionnel.
Toutefois, ce test ne peut être pratiqué que sous certaines conditions
- Tout d’abord le fait que ledit règlement réservait les contrôles aléatoires de consommation de stupéfiants aux seuls postes dits « hypersensibles », pour lesquels l’emprise de la drogue constitue un danger particulièrement élevé pour le salarié et pour les tiers. La Haute Juridiction administrative confirme qu’un tel dépistage aléatoire doit être réservé aux salariés dont l’état d’emprise sous une drogue est, de par la nature de leurs fonctions, susceptible de créer un danger certain pour l’intéressé ou pour des tiers (conduite de véhicules, manipulation de produits ou de matériels dangereux…).
- Le Conseil d’Etat relève aussi que le règlement intérieur reconnaissait aux salariés ayant fait l’objet d’un test salivaire positif le droit d’obtenir une contre-expertise médicale. Cette contre-expertise devant être à la charge de l’employeur.
- Dernière condition : l’obligation pour l’employeur et le supérieur hiérarchique ayant pratiqué le test de respecter le secret professionnel sur les résultats de celui-ci.
Un résultat positif justifie une sanction disciplinaire
Pour la Haute Juridiction administrative, le règlement intérieur autorisant le recours à un test salivaire dans les conditions ci-dessus énoncées pouvait valablement prévoir que le salarié s’exposait, en cas de contrôle positif, à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. Par cette lecture, elle aligne sa jurisprudence sur celle bien établie en matière de consommation d’alcool sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail. Cela va dans le sens de la protection de l’entreprise et des tiers. On observe ainsi un rapprochement avec la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui admet la légitimité d’une sanction disciplinaire faisant suite à un contrôle d’alcoolémie positif, pouvant le cas échéant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Reste désormais à attendre la position de la Cour de cassation concernant des tests salivaires de dépistage de stupéfiants par l’employeur.