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Injurier son employeur est-il toujours une faute grave ?

La question peut paraître absurde tant il paraît que la loyauté dans la relation de travail et le respect que l’on doit à son employeur comme à ses collègues sont des principes qui nous semblent évident. La jurisprudence considère ainsi que « la maîtrise du langage doit être de règle » ou encore que « les propos injurieux ne correspondent pas à l’exécution normale du contrat de travail ».

Si le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci d’une liberté d’expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, il ne peut abuser de cette liberté en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs à l’égard de l’employeur sous peine de remettre en cause son pouvoir de direction et de créer des tensions sociales au sein de l’entreprise.

Ainsi, insulter son employeur n’est pas sans risque : la sanction peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave.

Mais les juridictions sanctionnent elles automatiquement les dérapages verbaux des salariés ? La réponse est nuancée et pourrait donc vous surprendre…

Il apparaît en réalité que suivant les termes employés, les lieux ou encore les circonstances, le juge pourra adapter la sanction ou excuser une agression verbale.

Par exemple, des insultes du salarié pourront être mises au compte de l’état d’exaspération et de fragilité psychologique dans lequel il se trouvait le salarié, lié aux relations professionnelles dégradées qu’il entretenait avec son employeur.

En revanche, la répétition des injures, grossièretés et dénigrements à l’égard des autres salariés rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Par ailleurs, l’ancienneté n’excuse pas toujours les injures.

Malgré l’ancienneté de la salariée, proférer des injures virulentes à l’encontre de sa collègue, épouse du gérant de la société, en présence d’autres membres du personnel et de clients, rend impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis et constitue une faute grave.

A l’inverse, une incorrection occasionnelle, des paroles déplacées d’un salarié, après une discussion orageuse ou sous le coup d’une violente émotion ou colère ne constituent pas une violation suffisante des obligations tirées du contrat de travail pour en justifier la rupture. Des propos familiers ou même des insultes ne caractérisent donc pas nécessairement une faute grave dans la mesure où ils sont coutumiers dans le milieu professionnel concerné.

D’autre part, la gravité de la même insulte sera jugée différemment à Toulouse, Bordeaux, Lyon, Caen, Strasbourg ou Paris…

Enfin, employeurs et salariés n’ont pas les mêmes droits aux propos injurieux.

Si les prérogatives de l’employeur et l’usage normal de ses pouvoirs de direction et de contrôle ne peuvent l’autoriser à proférer des insultes à l’égard de ses salariés.

Toutefois, le salarié qui subit des injures répétées sur le lieu de travail en lien avec son emploi, sans réaction de l’employeur, et entraînant une dégradation de son état de santé, peut caractériser l’existence d’un harcèlement moral.

Quelques exemples de dérapages verbaux et de sanctions

Un salarié licencié par son employeur pour avoir dit qu’il travaillait « dans une boite de cons » a obtenu gain de cause devant la juridiction prud’homale qui a estimé dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement (Cour d’appel de Dijon).

En revanche, un salarié ayant injurié son employeur en ces termes « connard, petit con, bon à rien, incapable » a justement été licencié pour faute grave (Cour d’appel d’Angers).

Pour la Cour d’Appel de Lyon, les propos injurieux tenus par un salarié vis-à-vis de son employeur et du père de celui-ci, qu’il a traités respectivement de « petit con » et de « gros con », ne sont pas admissibles dans le cadre d’une relation de travail où la maîtrise du langage doit être de règle.

Mais ne constituait pas une faute grave… Le licenciement repose simplement sur une cause réelle et sérieuse.

Idem pour un salarié ayant affirmé que « ça ne l’intéressait pas de bosser avec un vieux con » (Cour d’appel de Caen).

Le fait pour un salarié d’affubler son employeur du qualificatif de « petit con » « termes incompatibles avec la solennité des rapports feutrés existant dans la hiérarchie bancaire » justifie une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cour d’appel d’Aix en Provence).

Mais quid de l’employeur qui traite son salarié de « con » ?

Les propos de l’employeur qui traite son salarié de « con » et lui dit « qu’il le faisait chier » ne justifient pas une résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur (Cour d’appel d’Orléans).

Mais lorsque l’employeur fait connaitre à son salarié qu’il était « trop con » et « trop fainéant », il convient de prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur (Cour d’appel d’Orléans).

Pour la Cour d’Appel de Rouen, Qualifier son supérieur hiérarchique de « gros tas de merde » ne saurait constituer ni une faute lourde ni même une faute grave ou encore une cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié (Cour d’Appel de Rouen). La juridiction a retenu dans ce cas d’espèce le comportement de mépris du supérieur à l’égard de la salariée, et l’usure des nerfs dont elle a été victime, d’autant plus fragile qu’elle était handicapée, alors qu’elle avait en vain alerté l’employeur sur les graves difficultés relationnelles qu’elle rencontrait avec lui.

La « faute » de l’employeur peut donc excuser celle du salarié.

Pour la Cour d’Appel de Douai, si la salariée a déclaré à son supérieur hiérarchique « tu me fais chier », de tels propos, certes déplacés et peu révérencieux, ne constituent pas pour autant des injures au sens propre du terme, et le licenciement est sans cause réelle et sérieuse (Cour d’appel de Douai).

Licenciement justifié pour faute grave

Pour la Cour d’Appel d’Agen, affubler son employeur d’un « je t’emmerde », « merde connasse » constitue une faute d’une gravité telle qu’elle ne permet pas le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée limitée du préavis.

Pour la Cour d’Appel de Nancy, la nature et la violence des propos réitérés du salarié : « bande d’enculés », « vous êtes un rigolo, vous êtes un charlot de première » « je vous emmerde [à six reprises] », « aller vous faire tailler une pipe » ont par leur caractère outrageant, insultant et excessif visant directement la personne du directeur, et ce en présence d’autres salariés, dépassé les limites octroyées à la liberté d’expression d’un salarié revêtu de mandats sociaux divers et ne peuvent plus être considérés comme s’intégrant dans le cadre normal des fonctions d’un représentant du personnel et ce, quand bien même le salarié a par le passé dûment et constamment défendu les intérêts de ses collègues salariés. La teneur de telles insultes est considérée comme constitutive d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, privative des indemnités de rupture.

Pour la Cour d’Appel de Bordeaux, doit être considéré comme légitime, le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait insulté et menacé de mort son employeur en le traitant entre autres termes de « sale juif », de voleur et de « salaud ». Ces menaces et insultes tenues en présence de témoins dans une entreprise réunissant plusieurs salariés étaient de nature à porter une atteinte grave à l’autorité du chef d’entreprise.

Justifient un licenciement pour faute grave, les fautes reprochées au salarié démontrant son mépris à l’égard de ses collègues de travail handicapés, traités de « clone », « trisomique 21 », « taré », « bon à rien », propos insultants, dégradants et contraires à la dignité humaine (Cour de cassation).

Pour la Cour d’Appel de Limoges, qualifier le style d’un courrier de son patron de « mou, froid, hypocrite, pervers, bavard comme une vielle femme et radoteur », le traiter lui-même de « sot, personne privée de tact aux méthodes surannées et qui utilise un vocabulaire pitoyable », de « morceau de merde, hypocrite, menteur, faux cul impuissant » et lui souhaiter « une longue vie dans le monde des hypocrites » et ajouter qu’« il n’avait pas de couilles et était pédéraste » constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement…

Dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement

Pour la Cour de cassation, les propos « allez vous faire foutre » tenus dans des circonstances particulières leur ôte tout caractère injurieux. Dans l’exercice du pouvoir d’appréciation qu’elle tient, la cour d’appel de Versailles avait décidé que le licenciement ne procédait pas d’une cause réelle et sérieuse.

Pour la Cour d’Appel de Besançon, des propos racistes retenus contre une salariée, certes répandus et provocants, n’étaient pas dirigés spécialement contre celui qui s’en estime victime mais résultent d’une conversation entre collègues sur le racisme. Si l’employeur pouvait à juste raison rappeler à plus de mesure son personnel lors de discussions pendant le temps de travail, afin que chacun ne se sente pas mis en cause dans sa vie personnelle ou sa religion, les paroles de la salariée ne pouvaient cependant pas être sanctionnées par un licenciement alors qu’elle comptait plus de vingt-cinq ans d’ancienneté et qu’elle avait toujours servi loyalement l’employeur, sans problèmes relationnels avec les collègues et sans passer pour une personne raciste.

Seulement une cause réelle et sérieuse de licenciement

Pour la Cour de cassation, l’expression « j’en ai rien à cirer vous n’avez qu’à vous faire foutre » adressée à son employeur mais demeurée exceptionnelle, ne rend pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et ne constituait pas une faute grave.

Ce comportement violent du salarié devait être mis au compte de l’état d’exaspération et de fragilité psychologique dans lequel il se trouvait, lié à l’état de relations dégradées qu’il entretenait avec son employeur et relevé qu’en douze ans de carrière il n’avait jamais fait l’objet d’observations.

Pour la Cour d’Appel de Lyon, le fait pour la salariée d’avoir tenu des propos injurieux à son supérieur hiérarchique, celle-ci l’ayant traité de « salaud » et, au sujet d’une demande d’exécution d’heures supplémentaires par l’employeur un samedi matin, lui ayant dit qu’il « pouvait se les mettre au c.. », qui ne peuvent être justifiés par le bien ou mal fondé de la demande d’exécution d’heures supplémentaires, constitue une cause sérieuse justifiant son licenciement.

Pour la Cour d’Appel de Bordeaux, doit être considéré comme légitime le licenciement d’un salarié qui avait tenu des propos injurieux à l’encontre d’un salarié d’un client de l’employeur en le traitant d’homosexuel et de pédé.

Pour la Cour d’Appel de Montpellier, les propos homophobes tenus par le salarié à l’égard d’un collègue de travail constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement mais n’apparaissent pas, d’une d’importance telle qu’ils rendent impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Pour la Cour d’Appel de Limoges, qualifier le style d’un courrier de son patron de « mou, froid, hypocrite, pervers, bavard comme une vielle femme et radoteur », le traiter lui-même de « sot, personne privée de tact aux méthodes surannées et qui utilise un vocabulaire pitoyable », de « morceau de merde, hypocrite, menteur, faux cul impuissant » et lui souhaiter « une longue vie dans le monde des hypocrites » et ajouter qu’« il n’avait pas de couilles et était pédéraste » constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement…

En conclusion, selon votre position dans la hiérarchie de l’entreprise, votre ancienneté, le lieu où vous serez jugé, les circonstances dans lesquelles vous les avez proférées, les grossièretés n’auront pas les mêmes conséquences. Si dans la plupart des cas c’est une cause valable de licenciement, il convient tout de même pour l’employeur d’être prudent lors de la procédure disciplinaire et du choix de la sanction.